.... … J’allais vers la petite rivière à l’endroit où elle faisait un coude, le courant même faible avait dû raviner son lit, je pourrais peut-être nager, tout au moins me rafraîchir. L’eau et mes baignades quotidiennes étaient le meilleur des médicaments. La courbe était large et décrivait un arc de cercle assez long, la berge creusée par l’érosion était un haut mur fait de couches alternées de terre rouge et jaune orangée, il était infranchissable. Au sommet de celui-ci une large bande d’arbustes et de lianes défiant les lois de l’équilibre semblait lancé dans un combat sans fin pour rejoindre la lumière, les larges feuilles des bilingas et des bahias ou encore des émiens à l’écorce lisse et beige aux contreforts élancés n’en laissaient filtrer que de fines rayures. Les rikio prêts à mettre en mouvement leurs innombrables racines semblaient sur le point de quitter cet endroit trop touffu.
Les grands arbres aussi étaient serrés les uns contre les autres comme des sprinters anxieux, pressés de terminer en vainqueur la course vers le soleil. Cet endroit était peu éclairé mais n’exprimait pas la crainte, au contraire il était frais et relaxant. Le combat que se livraient les plantes ne regardait qu’elles, ceux qui vivaient en dessous profitaient de l’ombre apaisante des grands arbres. Je pouvais nager en travers du coude, l’eau était suffisamment profonde surtout du coté du mur échevelé. Plus loin on pouvait barboter dans trente centimètres d’eau où quelques rochers affleuraient faisant doucement bouillonner l’eau et chanter la rivière. Je me calais entre deux rochers, j’avais suffisamment nagé. L’eau qui courait sans violence me massait le dos, surtout les cuisses et les jambes que la marche au pas cadencé imposé par ces messieurs pressés de poser leurs pièges, avait rendu aussi dures que les pierres sur lesquelles je prenais appui. Je me détendais en regardant les arbres, ils avaient leur propre système hiérarchique, s’était battus pour atteindre la lumière et ne cèderaient leurs places que contraints et forcés. Les arbustes entortillés de lianes profitaient du moindre trou dans la canopée pour boire cette énergie que les aînés leur refusaient. Un jour leur tour viendrait, même les géants finissent par tomber, ils seraient alors en pleine lumière, à eux de se battre pour monter de plus en plus haut et s’accaparer la force venue des cieux puis étaler leurs branches chargées de feuilles impatientes de recevoir la puissance du soleil. Un jour ils régneraient sur la forêt,
pourraient voir de haut ce monde grouillant de vies différentes mais unies dans
un monde indivisible. Les arbustes longs et minces se préparaient, guettant la
moindre percée de l’astre du jour dans les frondaisons des géants ils
apprenaient les mystères de sa course à travers l’univers. Ils savaient déjà
tout du miraculeux échange des forces de la vie, de la communion, du mariage
éternel entre la planète et le cosmos. Les oiseaux m’aidaient, me soutenaient de l’harmonie de leurs chants. Je ne voyais que cet arbre habillé d’un liseré de couleur bleue, de tous les bleus, puis d’un bleu de plus en plus clair et tendre qui devenait brillance argentée et dansante. Cette frange éclatante de clarté entourait en clignotant le corps de l’arbre. Je voyais en moi l’intérieur du végétal, je voyais des points lumineux qui suivaient les trajectoires sinueuses d’innombrables voies qui allaient des racines au sommet de l’arbre, de la terre vers le ciel puis retournaient du cosmique au tellurique dans un mouvement incessant. Ce n’était plus mes yeux qui voyaient le secret de la vie que l’arbre m’offrait, ce spectacle était en moi et seul mon esprit le percevait. Le temps s’était arrêté ! On vit des instants très riches en faisant appel aux regards intérieurs. On acquiert une notion du temps particulière, celle du temps de l’esprit, celle qui est en osmose avec le temps de l’univers porteur d’infini, d’éternité.
L’obscurité de plus en plus profonde m’a rappelé les dangers de la brousse. L’ombre mouvante des plantes et des arbustes semblait douée de vie, comme habitée de forces, de puissances mystérieuses presque inquiétantes qui utilisaient la voie ouverte par l’arbre et moi pour entrer en contact avec mon esprit. .... |
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...... … La nature est la plus grande des
artistes. Cet arbre semblait avoir été sculpté. Le
ngang est sur la liste des chanceux qu’on ne prend pas. Sa peau lisse est
de teinte beige ocre, ses feuilles sont petites et allongées, elles ont la
grâce et la légèreté d’un bouquet de plumes végétales. L’assise du fût est
bosselée et munie de contreforts épais et noueux. À la base de cet arbre, deux grosses bosses allongées cote à cote avaient la forme et l'apparence d’un grand crâne. En leur centre, légèrement écartés sur les cotés, deux trous disposés à la même hauteur figuraient des yeux au regard d’infini. Les bosses rejoignaient plus bas un contrefort dont l’arête arrondie plongeant dans la terre en se courbant semblait être une trompe. Sur les cotés, en arrière du crane, deux larges contreforts déployaient les oreilles attentives d’un immense éléphant fait arbre. La trompe noueuse fouillait le sol, y puisant la force de soutenir le tronc qui depuis les feuilles-plumes de la canopée, transmettait la lumière céleste embrasant les yeux qui plus bas surveillaient la forêt et protégeait ses mystères. Assis adossé contre cet arbre-éléphant, je me préparais à partir, j'espérais qu’il me poserait sur son dos et m’emmènerait dans cet univers ou tout ce qui vit peut se mêler en ajoutant à la nature de toute chose un élément de force habillé d’étrange et de beauté. La forêt est un univers fantastique d’images et de sons où le réel épouse le féerique. À toi de choisir les yeux et les oreilles que tu lui prêterais.
Je regardais le bahia et son écorce
gris-jaune en essayant de concentrer ma vision sur lui, mon esprit était trop
plein de l’éléphant végétal contre lequel j’étais assis. Je changeais de place
et m’adossais contre le petit Bahia m’installant confortablement sur un épais
tapis de ses larges feuilles. Derrière le ngang la forêt était claire, le
soleil l’illuminait baignant de sa puissance les nombreux jeunes arbres minces
et élancés qui poussaient dans la lumière vive, ils l’aspiraient de leurs
feuilles hautes gourmandes de force et de celles plus douces qui caressaient
langoureusement les écorces fines et fragiles. Ils semblaient un troupeau
attendant un mouvement, un ordre du vieux chef pour arracher leurs grands pieds
de la terre et s’en aller. J’étais assis face au grand arbre au masque
d’éléphant qui captait mon regard de ses orbites creuses. Il me semblait
entendre venant d’une phénoménale poitrine un grondement sourd, lointain,
puissant, profond et rassurant, comme les sons que les pachydermes échangent
lorsqu’ils sont en groupe et veulent repérer les positions de chaque membre du
troupeau. Je tachais de me concentrer sur le milieu du tronc, il y avait un peu
plus haut deux autres cavités dans l’écorce qui m’observaient aussi. Les
grondements persistaient et résonnaient dans ma tête comme si j’étais membre du
clan, comme s’ils m’appelaient. Je me surpris à répondre en imitant les sons
vibrants que je percevais. Je m’imposais de ne voir que le tronc dans son
ensemble, de ne plus fixer ces yeux qui accaparaient mon attention et
bloquaient mes pensées. Une frange lumineuse enveloppa le fût et soudain le
houppier devint aura phosphorescente dansant sur des variations de bleus
devenant platine incandescent. L’arbre entier depuis les racines jusqu’aux plus
hautes feuilles devint luminescence irisée. Venu du firmament un arc-en-ciel
glissait des rameaux aux racines, illuminait la terre et retournait vers les
cieux dans un élan très doux. Je ne sais combien de temps durèrent cet échange de sons et ce ballet de lumière, on parlait non loin de moi, j’étais de retour sur terre ! - É kamba n’éréré yé, il
parle seul avec son arbre ! Il comprend quoi maintenant ? - Non é kamba n’imbouiri yé, non il parle avec ses génies ! Ce blanc là, il peut voir maintenant les génies tout partout, grâce qu’il ne connaît pas encore pour les entendre, il ne doit pas les écouter maintenant sinon pour lui ramener ici ce serait difficile. Nous avons parlé avec le père de Thomas, lui là, il est dans le Bwiti depuis il y a beaucoup des années.
... Comprends bien chef ce que je t’ai déjà dit, n’écoute jamais les types là avant de rencontrer celui qui peut te guider. Ce que tu vois, regarde-le bien. Mais si tu comprends qu'on veut te parler, il faut laisser, tu n’es pas prêt ! Le père de Thomas a dit que nous peut te parler un peu si nous connaît que tu vois déjà les lumières. Il est Mitshogo, Thomas aussi. C’est nous les Pygmées qui ont donné ces hommes là Iboga, ensemble avec le Bwiti, les Fangs aussi ont pris ça, mais après.
... Le mot Bwiti vient d’un verbe en langue pygmée " ébwata " qui veut dire : arriver, déboucher d’une place dans une autre place, là où sont les ancêtres. Ils sont partis d’ici pour aller dans le village de Bwiti qui est avec beaucoup de lumières. On peut te dire que le Bwiti est descendu sur terre en même temps que" Dinzona " la première femme. Elle est venue par l’arbre du " Motombi " en amenant beaucoup d’instruments de musique, mais en premier c’est " Mungongo " l’arc musical, elle est descendue dans un fin rayon de lumière. Les initiés voient des lumières. La place où Iboga t’emmène, c’est à dire au village des ancêtres, des esprits, tu peux trouver la qualité de lumière que tu vois dans tes arbres là.
... Le Bwiti est venu pour aider les hommes, il te montre la vie et la mort, la mort et la vie, ils sont mélangés ensemble, tu ne peux plus craindre la mort quand tu connais ça. Comprends bien chef, tu vois déjà beaucoup de choses, regardes ça toujours, tu connais que les esprits sont partout, tu respectes ça, c’est bien ! Mais tu dois aussi respecter toi-même, ne cherches pas à aller plus loin toi-même seul. ---
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