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… De nombreux oiseaux jouent le rôle de sentinelle, depuis leurs perchoirs ils donnent l’alerte de jour comme de nuit. Dans la pénombre nocturne les sons ont une autre portée on les ressent différemment. Dés le coucher du soleil l’ombre s’installe au milieu d’autres ombres que l’on veut malgré soi pouvoir identifier, quelle que soit sa fatigue et le besoin de dormir les chants de la nuit envahissent l’atmosphère et l’esprit. L’air autour de soi devient progressivement plus lourd et opaque à la mesure du temps qui avance. La lune pleine ou naissante en parcourant lentement le ciel parsemé d’étoiles modifie à l’envie les formes étranges que libère l’imaginaire. Les premiers cris perçus d’abord lointains se précisent et se rapprochent. L’espace semble frémir, on redevient un animal que des pensées humaines embrouillent d’images de dangers et de mort qui rode et frappe sans pitié. Les réflexes des ancêtres s’éveillent la nuit, on  s’évertue à identifier tous les appels, les jappements des coyotes, les ricanements des hyènes, les rugissements des lions et les hurlements d’un animal blessé ou mis à mort. Cet opéra forte soutenu par les hululements et le souffle d’ailes brassant les ténèbres des oiseaux de nuit créaient un défilé d'images uniques inscrites à jamais. Dans ces moments on sait traduire tous les sons lire toutes les partitions, la brousse parle de vies, elle offre dans ses chants son langage et sa musique. Ces harmoniques réveillent un spectacle inscrit depuis des temps immémoriaux. On souffre avec l'antilope que la panthère achève, explose de colère avec le buffle qu’un autre mâle provoque, devient ce lion qui rugit sourdement son désir inassouvi, on peut même ricaner piteusement avec les hyènes affamées, frustrées de toujours devoir attendre la fin des agapes et se contenter des restes. On voudrait pouvoir hurler avec les lycaons et participer à leur chasse, tout voir malgré l’ombre épaisse de la nuit et crier à toutes ces vies, moi aussi j’existe ! Mais immobile on regarde défiler au milieu des étoiles les images portées par les sons du grand orchestre de la brousse où les échos du passé peuvent encore vibrer dans la mémoire des hommes. Il n’existe plus beaucoup de ces endroits, même en Afrique.

Nos ancêtres étaient totalement imprégnés de leur vie dans la nature, connaissaient parfaitement leur environnement, le comportement, les réactions, les habitudes de chaque animal. Les humains vivaient au dépend de la société des animaux, ils ont une place majeure dans l'évolution de la communauté humaine. Homo sapiens transmettait ce savoir vital aux générations suivantes qui ont apporté jusqu’à nous leurs propres découvertes. L’homme moderne a sauté de nombreuses leçons mais j’aime croire que cette science de la vie ou de la survie est inscrite dans les gènes de chaque être humain. Certains lieux, selon les circonstances ouvrent les portes de cet héritage.

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 ... La brousse est violente pourtant l’antilope qui va mourir continuera la vie de son tueur. Pendant que certains s'entre-tuent pour une histoire d’amour, d’autres un peu plus loin paient de leur vie le besoin de survivre et se reproduire de leurs prédateurs mieux armés. La nuit forte de mes insomnies transmettait tous ses messages. Son pagne d’or au soleil couchant en devenant plus sombre diminuait ma vision en intensifiant la réceptivité de mes autres sens. Chaque cri porte une odeur, le moindre bruit revêt une ombre, chaque vibration impalpable porte son chant triste ou heureux, désespéré ou vainqueur. Ils s’entremêlent et créent une symphonie d’ondes de fuites épouvantées et de combats gagnés ou perdus à en mourir. De hurlements de détresse en clameurs de victoire ou de lamentations tourmentées en appels amoureux cette musique enfle, joue sa partition dans le grand concert cosmique que les étoiles en tremblant dans un univers assombri illustrent d’images inconnues ressuscitant les souvenirs enfouis de ce que voyaient et écoutaient nos ancêtres. Être attentif à ce qui m’entourait en n’écoutant que l’émotion ressentie révélait les messages muets et ranimait les marques invisibles de ceux qui sont à l’origine de mon existence. La force de la savane vient de ce qu’elle transmet. Elle est issue de la sensation unique de liberté qu’offre les yaérés. Ces immenses plaines étendues jusqu’à l’horizon où l’on peut voir à des kilomètres les troupeaux d’éléphants suivre leur chemin millénaire et les entendre parler d'infini ou rire des efforts d’une girafe déroulant son cou interminable pour cueillir les plus tendres feuilles d’un grand acacia qu’elle abandonnera finalement d’un regard dédaigneux à la gourmandise de ses congénères plus grandes et à l’abri des douleurs incommodes du torticolis. s'inquiéter sans oser savoir pourquoi de la chorégraphie funeste des charognards dont le vol circulaire pointille les nuages de symboles macabres maculant l’immensité des cieux africains. s'amuser des courses folles des autruches dépoussiérant à pas de géant leurs plumeaux empesés en rétablissant leur équilibre malmené à grands coups d’ailes dispersés. Admirer en silence la marche lente des troupeaux assoiffés ou le passage effréné de kobas et de bubales ou de damalisques et de phacochères que pourchasse le danger toutes griffes dehors…

Au milieu de tant de vies, tu verras la tienne, tu apprendras à te laisser guider par ce qui est toi!   

Ce que la savane ne peut pas te dire, la forêt te le montrera quand tu sauras écouter ton âme !


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... J’étais le client assidu d’un pêcheur installé sur les berges d’un vaste lac né du débordement de la rivière pendant la saison des pluies où perçaient à la surface de l’eau les îlots de verdure de quelques bosquets d’épineux et de rares arbres rugueux aux troncs et branches distordues par la rigueur des périodes de sécheresse. En échange d’un petit pécule il m’emmenait à son bord visiter son domaine et seul le bruit de la pagaie cognant doucement contre la pirogue me rappelait sa présence discrète, j’étais en paix ! Celle qu’apporte le spectacle de la nature quand on s’en empreint en admirant sans les perturber les ballets aériens qu’improvisent les oiseaux virtuoses. Ils étaient en foule rapide ou empesée, des échassiers parfois quelques cigognes et de grands pélicans décollaient lourdement plus souvent pour manifester le désagrément d’être déranger avant de passer à table que sous l’effet d’une surprise fortuite ou d’une crainte malvenue. Les hirondelles dansaient animant la surface du lac des reflets acrobatiques de leur ballet vif et incessant ponctué de cris de victoire ou de jubilation en rasant l’avant de la pirogue et le dessus de nos de têtes. Les martins pêcheurs de leurs vols stationnaires tombaient comme la foudre sur les flèches d’argent que lance le soleil aux écailles des poissons. Les canards innombrables pédalaient un moment en surface en cancanant de rancune puis décollaient en gerbes dispersées nasillant l’embarras dans lequel les plongeait ma visite importune. Les aigles pêcheurs derrière leurs masques noirs semblaient surveiller tout ce monde en repérant leurs proies, perchés sur une branche ou en planant lentement au-dessus du lac et des multitudes turbulentes. Ils prenaient leur temps pour agir comme celui qu’il fallait pour déguster leurs prises. Savoir le bon moment, celui qui fait le succès de ses entreprises, j’ai tâché d’apprendre d'eux cette notion du temps mais ne suis pas très sûr de l’avoir bien comprise. La pièce de bois sur laquelle nous flottions sans un murmure ne dérangeait pas vraiment ces moments de vie insolites, j’en faisais partie, je volais moi aussi. Loin des crétineries de mes camarades et des miennes, celles que l’on commet pour passer le temps et le gaspiller en agissements futiles, je restais sur le lac jusqu’au coucher du soleil quitte à perdre conscience de moi-même dans la grandeur où communient les éléments. La terre et le lac, les arbres assombris et le vent naissant célébraient à l’unisson l’apothéose nocturne. Les moustiques étaient ravis de mon égarement mais je voulais m’abreuver des images paisibles que  m’offraient les gazelles les phacochères et les antilopes venant en silence se rafraîchir au bord du lac avant d’affronter les pièges tapis dans la pénombre dangereuse qui les attendaient. Je tremblais avec eux d’appréhension prémonitoire, l’âme sur le qui vive et prêt à me battre pour conserver la vie…

 

 

Homme sage

 

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... Dans ces endroits j’ai pour la première fois approché à pied un éléphant. Nous le regardions depuis la voiture se nourrir des feuilles d’un gros arbre au tronc court et aux branches basses. Je voulais le voir de plus prés, le garde chasse qui nous accompagnait a rapidement convaincu mes parents que nous ne prendrions aucun risque. Nous sommes partis sans armes jusqu’à une quarantaine de mètres de l’endroit où il se nourrissait. Les herbes séchées calcinées par le soleil étaient beaucoup moins hautes qu’en saison des pluies et ne nous camouflaient plus, nous risquions d’énerver le mastodonte qui forcément savait notre présence, après un bref moment d'observation il est retourné à ses agapes. Ce cabotin m’a donné un spectacle étonnant. N'arrivant pas à saisir des feuilles dont à priori il avait très envie, il s’est dressé sur ses arrières en s'appuyant d’une patte contre le tronc, l’autre pendant élégamment en l’air pointée dans notre direction. Ce monument de muscles semblait vouloir danser, voler peut-être, tant l'ensemble de son mouvement était d’une légèreté surprenante. Puis avec une grande précaution, comme s’il cherchait un endroit précis, il a saisi d’une trompe délicate la branche qu’il convoitait. Reprenant sa position première d’un puissant mouvement de tête faisant onduler ses grandes oreilles rappelant la nage évaporée des raies manta il a séparé la branche du tronc...

Après un bref coup d’œil pour s’assurer que les spectateurs avaient aimé sa prestation il a commencé sa dégustation. Rien en lui n’était agressif, aucun témoignage de nervosité, on ne le dérangeait pas bien au contraire, il faisait tout en souplesse. J’éprouvais en admirant sa délicatesse les mêmes sentiments, les mêmes sensations qu’en approchant les kobas. Nous n’avions pas d’intentions belliqueuses, il devait le savoir. C’était la première fois que je pouvais voir d'aussi prés et dans son élément naturel le plus grand des mammifères terrestres.

Troupeau de kobas ou, antilopes cheval, s'éloignant.

 

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Homme et génie

 

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… Le jour où la vie sauvage ne sera qu’un paragraphe à peine lu dans un livre d’histoire sinon par quelques illuminés, les humains auront perdu leur identité. On se définit en prenant soin de son passé et en entretenant le monde qui nous entoure, sinon l’avenir sera sombre, couleur de tempêtes, de tremblements de terre, de sécheresses et d‘inondations, de maladies et de famine. Fais attention petit animal humain, la nature va se fâcher ! Regarde autour de toi, elle manifeste son courroux de plus en plus souvent, elle te prévient et tes larmes de douleur ou tes regrets tardifs et ridicules n’éteindront pas les flammes de sa colère. J’attache peut être beaucoup trop d’importance à mon identité, elle est faite de ces enseignements qu’aucune école ne propose. J’ai appris en observant la brousse et ses habitants, j’ai vécu parmi des êtres humains. Ils m’ont expliqué comment identifier et analyser les indications fournies par une trace, dans la poussière ou la boue. Selon sa fraîcheur elle dit la taille de l’animal, la direction qu’il suivait et selon le sens du vent celle que nous devrions prendre pour le rejoindre sans être repérés. Les traces de dents sur les touffes d’herbes sont aussi très bavardes. Les fantaisies culinaires sont différentes, elles varient d’une espèce à l’autre, la façon d’entamer les gourmandises également. Les crottes non plus ne manquent pas d’éloquence, elles disent la race, la taille, l’age, l’heure où le négligent propriétaire les a déposées.

Les bêtes ne s’entretuent pas inutilement ni ne détruisent inconsidérément ce qui existe autour  d’elles.

... Les animaux et les arbres m’ont appris que l’homme s’il persiste à ne pas avoir plus de considération envers la nature qui lui a donné vie, ne sera pas, deviendra un élément voué à disparaître. Les animaux connaissent leur rôle et celui des autres, savent que leur dernière prestation sera définitive et permettra à d’autres et à leur lignée de continuer à vivre. Ils meurent dignement, sans haine ni regrets vengeurs. Ils enseignent la vie pour peu que l’on s'attarde à les voir exister et à entendre ce qu’ils pourraient penser. La savane m’a formé à regarder et écouter afin que je voie et entende loin au-delà de la surface, pour que je ressente et perçoive sans mes yeux ni mes oreilles. Elle m’a poussé à comprendre qu’en la respectant, je me respectais, je respectais la vie.

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Je suis parti avec une escorte d'images !

Les guerriers à cheval, la savane et ses habitants vivent en moi pour toujours !

 

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